La Mobilité en Afrique de l’Ouest

Alice Hertzog

En Afrique de l’Ouest, si la migration est un moteur de l’urbanisation, elle est également à l’origine de changements dans de nombreux autres domaines, qu’il s’agisse de questions de genre, de l’agriculture, des arts ou de l’éducation. Parfois, la vitalité et la jeunesse du continent africain donnent l’impression que tout est en mouvement, ou pourrait à tout moment décoller. Cependant, les discussions autour de la mobilité africaine semblent plus préoccupées par la migration liée à l’Europe et la quantification des flux que par la compréhension des formes plus prédominantes et quotidiennes de migration régionale interne qui ont lieu dans le contexte ouest-africain.

Au Bénin, l’expression proverbiale “oxo lè wè mon non yi kpè in” se traduit par “seules les montagnes ne se croisent pas”. Cette expression est utilisée à la fois comme un conseil pour respecter l’autre car vos chemins se croiseront à nouveau, et comme un réconfort pour atténuer le choc d’une séparation douloureuse. En Afrique de l’Ouest, si les montagnes restent sur place, tout le reste peut être mobilisé, qu’il s’agisse de personnes, de marchandises ou d’idées. La mobilité est un trait caractéristique de l’Afrique de l’Ouest, “fondamental pour toute compréhension de la vie sociale africaine”1. En outre, une caractéristique importante de la vie socio-économique des villes africaines est "la volonté de transformer les espaces en espaces de mouvement”.2

La mobilité en Afrique de l’Ouest est enracinée dans les cultures migratoires et la région est sillonnée de routes commerciales précoloniales. Aujourd’hui, les chemins se croisent sur les marchés, dans les taxis, dans les aéroports, et de plus en plus en ligne, car les technologies mobiles contribuent aux pratiques de mobilité en Afrique de l’Ouest. Pour Achille Mbembe, la mobilité est constitutive de la sociabilité africaine, un vecteur essentiel de transformation et de changement, de l’organisation de l’espace et des territoires et des définitions d’appartenance.3 La migration n'est pas seulement un impératif économique, elle est aussi liée à l’individu, par exemple pour les jeunes hommes qui, par la mobilité, deviennent des aventuriers.4

L’aventure migratoire a été parfaitement saisie par le célèbre anthropologue Jean Rouch, qui a réalisé en 1967 le docu-fiction intitulé Jaguar.5 Il s’agit du récit de trois amis qui partent du Niger pour rejoindre les villes ghanéennes de Kumasi et d'Accra. Les protagonistes vivent la ville de manière contrastée : piège de la pauvreté ou terre d'opportunités, mais s’unissent pour ouvrir un stand de marché prospère, devenant des "jaguars" (argot pour enfants cool) avant de rentrer au Niger les poches pleines d'argent gagné par un rude effort.

Cependant, plutôt que de se concentrer sur les récits de la migration en Afrique, la recherche sur la migration africaine est souvent préoccupée par l’arrivée des Africains en Europe. La recherche et la politique ont été préoccupées par la migration ouest-africaine vers l’Europe ou l’Amérique du Nord.6 Cela correspond à l’hypothèse fausse mais prédominante selon laquelle tous les migrants subsahariens se dirigent vers l'Europe. Alors qu’en fait, environ 70 % de la migration internationale de l’Afrique subsaharienne reste au sein de l’Union africaine.7 En effet, la plupart des migrations en Afrique de l’Ouest sont interrégionales,8 les flux régionaux représentent 84 % des mouvements en Afrique de l’Ouest, soit sept fois plus que les flux migratoires de l’Afrique de l’Ouest vers d'autres parties du monde.9 En Afrique, la région ouest-africaine compte le plus grand nombre de migrants interrégionaux et internationaux ; un chiffre de 8,4 millions, représentant 2,8% de la population.10

Les tentatives de quantification des flux migratoires sont menées par les approximations des flux informels de personnes et de biens, qui sont difficiles à saisir par l’appareil administratif et statistique des États. Les trajectoires migratoires en Afrique de l’Ouest sont multipolaires et se déplacent en fonction des fluctuations économiques, de crise ou de croissance. En effet, les migrants se déplacent en fonction de l’économie politique de la région, réagissant à l’essor et à la récession de divers endroits. En Afrique de l’Ouest, la mobilité reste une stratégie face aux niveaux élevés de pauvreté, à l’absence d'un État-providence et aux vulnérabilités économiques qui créent des niveaux élevés de volatilité. C'est ce qui a façonné l’émergence de villes en Afrique de l’Ouest où la mobilité fait partie intégrante des moyens de subsistance urbains.